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Peau de terre

 

 

Il y a des couleurs à rêver et des peaux par milliers.

il y du génie à revendre aussi. Du génie civile, du génie industriel, du génie militaire, du génie génétique et plein de créateurs magiques, fabricants d'arc-en-ciel en série et autres idées de génie. Il y a cette logique implacable, impossible à mettre au sol, ontologiquement inapaisable : celle qui a-rraisonne Le Monde comme une marche du Progrès. 

 

Un Progrès en manière d'Evolution qui, des premières particules du Big Bang jusqu'à la fibre optique, nous indique la voie à suivre. Ne pas la suivre serait aller contre, et aller contre serait conservatisme, réaction et pensée primitives… En chemin, nous reviendrions sur nos pas, ceux des peuples premiers constitués de bons sauvages en marge du destin de Civilisés. Car si nous sommes revenus de nos anciennes croyances, acceptant de n'être plus le centre du monde mais juste un infime quartier de l'univers, nous refusons toujours d'y tenir d'autre rôle que celui de plus développés,  de plus avancés, de plus démocratiques, de plus scientifiques, de plus technologique, bref…de surhomme.

 

NOUS… nous les peuples à produit intérieur brut, les sociétés à indicateurs de développement, les guides des petits peuples et peuples premiers, NOUS regardons ces Autres disparaître "logiquement", "naturellement"… Pour tout dire, comment pourrait-il en être autrement ? N'est-ce pas la marche normal de l'univers ? Ne sont-ils pas, après tout, les vrais responsables de leur propre dilution, de leur disparition, de leur inadaptation comme de leur anéantissement ? Probablement. 

 

Et puis d'ailleurs, "au banquet du crédit, il n'y a pas de place pour tout le monde". 

 

Nonobstant, à y regarder de plus près, notre marche progressiste nous mène progressivement de crise économique en crise écologique, de paradis artificiels en réalités numériques avec pour seul espoir de gagner Temps et Argent…

 

Mais il y a une Terre à rêver et des peaux par milliers.

Il y a ces peuples amazoniens méprisés que nous regardons comme d'étranges odes au passé quand nous ne les étudions pas de nos milles yeux savants. Ces gens que nos condescendantes approches qualifient, dénombres, classifient afin d'y soustraire ou ajouter une once de modernité et une livre d'archaïsme. Il y a aussi cette vie différente, une manière d'être au monde et d'en avoir vision: celle d'humains respectueux de l'humain en chaque partie du Tout. Des peuples plaçant au creux de leur sagesse séculaire le caractère sacré du sujet en chaque Être, animal ou végétal. 

 

Chez eux, le temps s'écoule depuis son aube avec le respect de l'entour que nul ne cherche à dominer. On ne domine pas l'ordonnancement sacré et les esprits de sa forêt. On se les concilie, on s'attire leur bonne grâce par des actes sacrés inscrits dans le grand continuum mythique. Ici, personne n'est "proche de la nature". La nature n'est pas une entité exogène, cette chose en soi si étrangère et si proche à la fois. Elle est plutôt cette "Terre-Forêt" dont les éléments possèdent les mêmes attributs que les humains. Nulle disjonction entre la nature, la culture et l'homme. Le NOUS est ici le fruit d'une totalité dynamique ou les relations et interactions s'organisent « naturellement » entre humains et non-humains.

 

Cette "Terre-Forêt" est aussi cette peau fragile que nous ne cessons d'attaquer avec science et stratégie. Lentement, d'où que nous agissions, nous pénétrons chaque couche de ses tissus, y diffusant notre poison économique et notre rationnalisation dogmatique. Quand plus aucune peur de nous étreint, plus aucun défi de nous semble  impossible à relever, pourquoi en irait-il autrement ? A cause de quelques va-t'en-guerre brandissant pour toutes armes des peurs à gueules de mots valises  : « finitude écologique », « changement climatique », « biocide » ? Et pourquoi pas « Apocalypse » tant que nous y sommes ?!

 

Allons bon ! Qu'on se le dise : nous avons des siècles de civilisation derrière nous. De richesse productive en croissance exponentielle, nous tenons pour vérité vérifiée que notre mode de vie trône vaniteusement au sommet de la pyramide universelle. Et s'il nous arrive d'en douter, le prix à payer pour goûter au bonheur d'une cité en fibre de verre nous paraîtra toujours plus acceptable que celui d'une vie en jungle verte. 

 

Pourtant, un simple regard, même éloigné, nous permet de comprendre à quel point la science, la raison, la logique et la spiritualité des peuples de la « Terre-Forêt » ont su, mieux que les notres, préserver, conserver, engendrer des trésors d'humanités et de natures. Combien derrière ce dépouillement sauvage et cette technologie arrierée, il est question non de perfectibilité relative, mais de viabillité durable, d'économie naturelle et de vie collective harmonieuse. 

 

Ainsi, accepter l'héritage des premiers Caribéens n'a de sens que si nous acceptons d'être leurs héritiers résolument contemporains. Comme leurs pères et mères continentaux, nos ancêtres, quand ils ne luttaient pas contre les colonisateurs, vivaient en symbiose intime et durable avec leur environnement, respectant  cette Terre comme leur propre peau. Aujourd'hui leur descendants sont encore la cible de violentes attaques, parfois mortelles. Leurs terres sont accaparées dans le cadre de projet de « développement » d’exploitation minière ou forestière, de barrage, d’implantation de fermes à grandes échelles ou  pour faire place à des parcs naturels. 

 

Du haut de notre « progrès », préservons cette peau qui enveloppe notre monde à tous. Gardons là des affections pathogènes et hautaines de la Civilisation. Protégeons son intégrité physique et fonctionnelle comme elle le fait pour nous. Redonnons à la Terre  le droit au rêve d'éternité...

Loran Kristian U.

Martinique, 2012

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