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Les mots de silence

 

ll arrive que des âmes ne parlent pas la même langue,

alors même qu’elles déboulent le même corps.

Parfois sans regard et sans dire, sans égard et sans crainte.

C’est ainsi dans un lieu où cela s’accumule, la ronde levée, fessée.

Dans ce corps suspendu aux confins de trois âmes, un silence se consume.

L’esprit fait songe souvent de la réalité.

 

Loran Kristian U.

Martinique, 2013

 

Or, 

en final du compte, le diable avait mangé la lune. 

Des gouttes de sang font des flaques argentées sur l’iris d’une luciole. Quelques femmes prient le seigneur ici et là. Toujours un tas de foutues homélies orphelines ! 

En vrai, l’agitation continuelle et sans fin d’un ramassis de membres purulents ! Des voix souillées d’une bave acide.  Indélébile ! Pièce œil ne plisse ni ne regarde derrière lui. Chaque paupière se déploie sur son matelas d’abcès croupis. Chacun sa dent grinçante, trouée comme un cément fléché. Ici c’est à qui sera le premier des Rois, la plus belle des Reines, le seul Prince de la galaxie et la Princesse des chiens de nuit. Ici c’est comme partout ailleurs. Fait de centaines d’os suturés et de millier d’anomalies sacrées. 

 

La danse. Tourner. Joindre les pieds. Assemblée les chevilles. Joindre les pieds aux chevilles, les bras le long du corps. Tourner. Comme un pilier. Griffer en terre.  Le chant. Comme un chapelet d’idées imperméables. Des syllabes rouges et bleues au goût de kaolin. Un chant pour les hommes. Un chant pour les femmes. Des bouches et des voix par milliers, des cris, des étouffées, des vocalises rocailleuses et enrouées, des doigts enfouies en narines insondables. L’homme remue sa langue prenant soin qu’aucune eau ne déborde. Et les lèvres poussiéreuses de la femme font une argile creuse.

C'est mille voix de supplice. Et un coup de main. C'est de là que viennent les pieds ampoulés et les mains sales. C'est de là que part le sel des nuages et la sueur des étoiles. De là, très peu de paroles s'entrelacent. Moins encore se regarde, yeux dans yeux, derrière la pupille des mots. Le courage ne s'appointe plus, il dort de tout son long sous la langue d'une rivière. 

 

Nous avons peu de temps,

et peu de force pour tout régler, tout préparer, tout monter, tout ordonner, tout repérer. Nous avons froid aux yeux, malgré la fureur brûlée sous nos cornées, malgré la tôle incandescente volant dans l'oeil du cyclone. Il y en a de toutes les couleurs, produisant toutes les notes, exhalant tous les parfums, lourdes comme des météorites tranchantes et fumantes. La tôle et la ferraille crevants l'espoir au ventre vide et bruyant. L'eau des âmes s'évapore, nuées pourpres et cendreuses. 

Plus personne ne pose de question, plus personne n'interroge. On emmaillote le doute dans des rades en fibres de verre. Le corps où vivent les gens rétrécit. Invariablement. S'amenuise. Pire, à mesure, des tonnes de dureté, de sécheresse et de rectitude l’envahisse. À mesure, l'esprit de la folie s'insinue en thrombose, hautain et vénéneux. Ses idées gonflent de part en part ; il devient difficile de les mouvoir au vent. 

 

L'air est irrespirable, souvent. A la maison comme à l'air libre, l'esclave rampe au sol des souvenirs. La bouche parle, accroupie dans la suie. On l’entend juste après le premier cri du premier coq, chaque fois que l'oeil du temps fait couler son or sur nos sécheresses. 

Nous avons peu de temps. 

 

Il faudrait arracher la lune au corps blanc. 

 

Servir autre chose que nos langues pour éventrer l'enfer. Mais il n'y a plus de salive entreposée. Toute la bave des mots a suinté des garnisons miraculeuses. Plus grand chose à se mettre sous la dent. Des mots de cotons, seuls, voyagent jusqu'à nos chambres ouvertes sur la ville. Les fenêtres, accrochées par un fil, poussent des nuits de vent par leurs gueules béantes. Les lumières tremblent convulsivement d'un cri de petit lézard blanc. En tête, l'accumulation d'une batterie de siècles sirupeux. Des grains de sable et du café incurvés aux cornées. Le flux et le reflux d’eaux mortes accrochés aux chevilles. Des messes de capucins et des boucans de haines ensablées. Des marigots à la descente hurlante. Des bruits de chaines émaciées comme la maigreur d'un lendemain. 

 

Nous prenons tout, sous le songe marré. 

Loran Kristian U.

Martinique, 2013

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